Le regard trouble, tout semblait sortir d’un mauvais rêve. Des corps gisaient sur le sol, à moitié dans la pénombre, à moitié dans la lumière blafarde des lampadaires. Mes entrailles me brulaient, se nouaient entre elles, me donnant plusieurs fois l’envie de rendre. Une brise légère me caressa le visage, telle la main chaleureuse d’une femme me rendant espoir et force. Je me relevais difficilement, crachant sur le sol, quelques perles de sang. Ma tête tournait, mon ventre me faisait horriblement mal. J’avais la vague impression d’être passé sous un rouleau compresseur … cette femme avait un sacré poing.

Mon arme se trouvait à plusieurs mètres, perdue entre les corps meurtris et la lugubre ambiance qui siégeait à Central Park. Qu’allaient donner les médias ? Un incident tragique dans un parc réputé pour sa tranquillité ? L’angoisse me montait à la gorge, m’empêchant de déglutir sans difficulté. J’en avais que faire des morts, des blessés ou même des dégâts collatéraux qui jonchaient ma peau. Je ne voulais pas que l’info soit divulguée. Aaron m’avait chargé d’une mission et j’avais failli … Je me sentais encore plus minable que je ne l’étais déjà.

Après de multiples efforts, je me tenais debout, chancelant de droite à gauche. C’est étrange, mais j’avais l’impression d’être seul au monde dans cette affaire. Je distinguais à peine Sonny et Crow au loin. Leurs corps s’effilochaient dans l’ombre menaçante des arbres. Tout semblait devenir danger autour de moi et mes membres si douloureux soient-ils, ne pouvaient plus me protéger. J’étais comme nu sur des braises, marchant maladroitement pour trouver un échappatoire. Soudain un coup de feu retenti. Par pur réflexe, je plongeais à terre.
La douleur me lança au niveau des côtes. Visiblement, cette bonne femme avait frappé fort, vraiment fort. Au pire des cas, je me retrouverais face à Maggie, dans sa somptueuse blouse d’infirmière. Je me voyais déjà au calme, dans un endroit douillet, tout vêtu de blanc, qui sent le propre et le désinfectant.

Mais la douleur était bien présente et la peur me tordait le cœur. Il battait si fort. Devenais-je faible ? Les armes, le combat, voire même le journalisme … était-ce encore fait pour moi ? Je ne me sentais pas vieux, mais si j’avais failli à ma tâche ce soir, c’est que je n’avais plus ma place ici. Retourner à ma vie paisible, instable, morose, plate … peut-être était-ce ça ma destinée ?
Je regardais le crâne de Julian exploser sous le coup de feu. Crow se tenait juste en face. Ce gamin avait eu l’audace de prendre la vie d’un autre ? Bon sang, qu’avais-je fait ? Une boule d’amertume se forma dans le fond de ma gorge. Je me sentais bizarrement coupable de ce que Crow venait de faire. Moi coupable ? Jamais je n’avais eu cette impression. Par tous les saints, Dean, tu n’es qu’un vieux déchet dans cette histoire.

Je me relevais, me tordant sous la douleur. La main plaquée au ventre, j’avançais tanguant de droite à gauche, comme si le sol se trouvait instable. Je maugréais des paroles inaudibles, me dirigeant vers mes solides compères. Mais arrivé à quelques mètres de mon jeune apprenti, mes jambes fléchirent. Je tombais lourdement sur le sol, abandonnant mon esprit à une vision saine et douce, le visage de Lexi me revenait, étrange et plus aimant qu’avant.

« Pills...bury... » Loan était incapable de bouger, elle était à terre, complètement écrasée par le poids de ses blessures. Mais au moins, c'était fini. Les deux terroristes étaient morts. Pour de bon. Mais il restait tellement de témoins... Ils n'étaient pas en état de tous les ramener à l'Agence ou encore de les faire taire à jamais. Loan essaya d'imprimer les visages, les noms. Elle demanderait à Remington et à celle qui semblait être sa copine. Il allait falloir l'interroger à ce sujet... Mais pas maintenant, il fallait rentrer. Elle espérait que Cristiani avait prévu un rapatriement, elle ne pouvait pas finir à l'hôpital, c'était hors de question.